
Il y a deux semaines, la coalition Stop Fast Fashion se mobilisait partout en France pour mettre sous les yeux de toustes les impacts environnementaux et sociaux des géants de la fast fashion (Shein, Zara, Primark, H&M, mais aussi Kiabi ou Décathlon) et pour contester l’enterrement de la proposition de loi dite “anti fast fashion”, visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile.
Cinq jours plus tard, en écho à la mobilisation, la proposition était adoptée en commission au Sénat. A l’inverse de ce que l’on pourrait croire, cette réponse n’est pourtant pas synonyme de progrès pour nous. Pour le comprendre, il faut d’abord revenir aux enjeux à l’origine de la coalition.
Un problème grandissant
En 2023, l’industrie textile a mis sur le marché plus de 150 000 tonnes de textile rien qu’en Île-de-France. Cette tendance ne fait qu’augmenter depuis des années avec la montée en puissance de la fast fashion. L’industrie de la mode éphémère multiplie les nouvelles collections, surfe sur les micro-tendances et vend à prix cassé des vêtements de médiocre qualité. Pour écouler ces articles, les marques encouragent les achats démesurés et l’abandon précoce de nos vêtements à travers un marketing agressif.
Si la fast fashion n’est pas nouvelle, ses conséquences se font sentir plus brutalement ces dernières années. En effet, la délocalisation de la production, qui exploite les travailleurs et bafoue leurs droits, et le recours à des procédés polluants pour l’environnement et toxiques pour les populations exposées, sont à l’origine d’une véritable crise écologique et humaine.
A l’autre bout de la chaîne, des centaines de milliers de tonnes de déchets sont générées, alors que les agents de la collecte et du traitement des déchets textiles ne sont pas en mesure de les traiter durablement dans ces proportions.
En 2022, sur les 126 908 tonnes de “déchets” textile franciliens, seulement 22% sont collectés pour être triés, soit 27 908 tonnes traitées adéquatement, alors que 99 375 tonnes ont été incinérées ou enfouies, principalement parce qu’elles ont été jetées avec les ordures ménagères. Les acteurs du réemploi solidaire subissent eux aussi les impacts de la fast fashion. La qualité des dons diminue et les proportions de textile réemployable avec.
C’est en réaction à cette crise écologique et sociale qu’une proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile est portée par le groupe Horizon à l’Assemblée Nationale en mars 2024. Cette proposition soutient notamment l’interdiction de la publicité faisant la promotion fast fashion, la mise en place d’un système de bonus/malus et d’un affichage environnemental sur le textile.
L’offensive de la fast fashion
Ces mesures ambitieuses dénotent de la souplesse de la législation en vigueur, et surtout, dérangent les industriels de la fast fashion. L’industrie de la fast fashion s’enrichit (tout en provoquant une catastrophe écologique et sociale), elle a donc tout intérêt à maintenir les lacunes de régulation de cette législation. Pour cela, les groupes textiles multiplient les efforts d’influence, afin d’empêcher l’aboutissement de la proposition de loi.
Le 12 février dernier, lors de la conférence des présidents du Sénat fixant l’ordre du jour des séances, la proposition a été occultée par le gouvernement. Pour justifier cette disparition, le gouvernement prétendait examiner la proposition de loi pour la rendre plus robuste, l’empêcher de pénaliser “nos entreprises” et “d’éviter les effets de bords”. Le contexte suscite néanmoins des doutes concernant des pressions de lobbies.
En effet, en décembre 2024, l’ex-Ministre de l’intérieur Christophe Castaner a été nommé au comité RSE du géant Shein, aux côtés de Nicole Guedj, ex-secrétaire d’État aux droits des victimes, et de Bernard Spitz, ancien patron de la Fédération Française de l’Assurance. Si ces personnalités politiques n’ont ni expérience ni appétence pour le domaine environnemental, ils ont plutôt été sélectionnés pour leur proximité avec le gouvernement. En témoigne le rendez-vous entre Bernard Spitz et la présidente de l’Assemblée Nationale Yaël Braun Pivet, le mercredi 22 janvier 2025.
Réveiller le débat et continuer le combat
Sans mobilisation citoyenne, il est plus facile pour les intérêts privés de faire pression et d’enterrer les tentatives d’avancées législatives. Il est donc nécessaire d’informer sur ces jeux d’influence et de se mobiliser pour le maintien de ces réformes essentielles.
C’est dans ce cadre que la coalition Stop Fast Fashion, réunissant plusieurs associations de défense de l’environnement et des droits humains, s’est mobilisée le 14 mars 2025. Un an après l’adoption de la proposition de loi à l’Assemblée Nationale, plus d’une quarantaine de mobilisations se sont organisées partout en France, pour la mise à l’agenda de la proposition de loi au Sénat.
A Paris, la coalition s’est réunie devant les grilles du Sénat avec 9 Ressourceries du Réseau Francilien du Réemploi, pour y déposer 10 tonnes de textiles afin de dénoncer les dérives de la fast fashion et interpeller les élu·es sur la nécessité d’encadrer ce secteur. Ailleurs à Paris et en France, des Ressourceries ont arrêté la collecte du textile à cette occasion, d’autres encore ont sollicité leur sénateurs. Toutes ont sensibilisé à leur manière.
Plus d’informations sur cette action, ci-dessous :

La réponse des sénateurs fut rapide. Le 19 mars, la proposition de loi est examinée par la commission de l’aménagement et du développement durable du Sénat “dans la perspective de son prochain examen en séance publique courant mai 2025”. Cette mise à l’agenda tant attendue est pourtant insatisfaisante : les amendements adoptés.
D’abord, nous ne sommes pas à l’abri d’un autre report de la date d’examen en séance, mais surtout, lors de son adoption en commission, la portée de la loi a été fortement réduite.
Dans une perspective protectionniste, les sénateurs ont adopté une définition restrictive de la fast fashion visant surtout les entreprises chinoises, or les grands groupes européens, par exemple Inditex, ont aussi un poids colossal dans la destruction de l’environnement et la violation des droits humains. De plus, des mesures ont été modifiées voire supprimées.
L’interdiction de la publicité a été limitée à celle des influenceurs et l’affichage environnemental, qui prévoyait des pénalités, a été remplacé par une formulation floue, ne garantissant aucune application des sanctions. Ces remaniements témoignent de la pénétration des intérêts de la fast fashion dans les institutions.
Enfin, un dernier risque plane. Au delà de l’adoption au Parlement, la loi nécessite par la suite d’être complétée par de nombreux décrets, qui pourraient d’autant plus l’atténuer si nous laissons faire. Si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur cette loi, et notamment les conditions d’exécution des mesures, The Good Goods propose une analyse juridique par l’avocate spécialiste de l’industrie de la mode Glynnis Makoundou.
En somme, il est essentiel de visibiliser les enjeux autour de cette loi, de continuer à agir pour son adoption et sa réelle application. La prochaine étape est de proposer des amendements pour rétablir l’ambition initiale de la loi. Menez ce combat avec nous, continuez de soutenir la coalition Stop Fast Fashion.
Notre communiqué de presse suite au passage en commission développement durable de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques de la fast fashion, le 19 mars dernier :
