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Les revers de la seconde main

En France, la seconde main conquiert les esprits au point de devenir une nouvelle norme. Elle offre aux consommateurs un meilleur pouvoir d’achat et promet de freiner l’impact socio-environnemental du neuf. Cependant cette promesse est soumise à la condition d’une attitude vertueuse face à la consommation qui ne doit être négligée, au risque de créer l’effet inverse. Mais alors que faire pour devenir des « acteurs responsables » de la transition écologique ?

(Sur)consommation : les aléas du neuf

Ces dernières décennies, la consommation mondiale ne cesse d’augmenter et la France ne fait pas exception. Parmi les biens en tendance, le textile qui générerait « au moins 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre » selon l’Ademe, soit « plus d’émissions que les vols internationaux et le trafic maritime réunis » et 29,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 en France¹. En effet, le processus de production comme la culture du coton, la teinture, le traitement des tissus, sans compter leur acheminement, contribuent de manière significative à la pollution des eaux et de l’air.

Au-delà du simple aspect environnemental, le textile pose de gros problèmes éthiques relatifs aux conditions de travail de celle·eux qui les fabriquent. Souvent délocalisée, l’horreur est hors de vue mais ne demeure pas moins réelle. Selon Timo Kollbrunner de l’ONG Public Eye Researcher² et concernant l’entreprise Shein, « les ouvriers produisent en moyenne 120 pièces par jour et travaillent 11 à 12 heures quotidiennement avec une seule journée de repos par mois ». Ils·elles n’ont pas non plus d’assurance ni de contrat de travail et sont exposé·es à des produits chimiques qui auront une répercussion sur leur santé, celle des consommateur·ices et l’environnement.

Un marché en pleine expansion

En plus d’être moins impactant pour notre planète, acheter de la seconde main est souvent moins cher et permet d’avoir un large choix, qui ne se cantonne pas à une seule époque ou génération. Les Français·es semblent d’ailleurs absolument conquis·es par la seconde main. Selon l’Observatoire Natixis Payments, « 2021 fut une année record pour ce marché avec une augmentation des achats de prêt-à-porter d’occasion de 51% ». La progression est encore plus impressionnante quand on compare ces chiffres à ceux de 2019. En deux ans, le nombre d’achats de seconde main a bondi de 140%³. Au cours de l’année 2021, « 91 % des Français ont acheté un bien de seconde main, sans distinction »⁴. 

Le marché de l’occasion peut donc sembler être une bonne alternative et les raisons d’y croire sont claires : l’occasion ne demande pas de ressources supplémentaires puisque l’objet est déjà sur le marché. Elle ne participe donc pas à davantage d’exploitation humaine (pour ce qui est de la conception), et l’impact environnemental est réduit puisque l’objet est détourné des fonds de placard ou des déchèteries. Mais alors, qu’en est il vraiment ?

Occasion : solution ou illusion ?

De fait, les achats d’occasion ne viennent pas systématiquement remplacer les achats neufs, mais s’y ajoutent. Les prix « cassés » offerts par la seconde main forment une voie idéale vers davantage de consommation, c’est ce que L’ADEME appelle « l’effet rebond ». L’ADEME montre notamment que 86% des Français·es jugent que cela permet d’acheter plus d’objets pour moins cher⁵ et non pas autant, tout en faisant des économies. Joan Le Goff et Faouzi Bensebaa dans leur ouvrage : La Nouvelle Jeunesse de l’occasion⁶ expliquent : « La seconde main peut augmenter la demande en biens neufs […] et, par ricochet, […] la demande globale ».

D’après une étude du cabinet Boston Consulting Group, 70% des utilisateurs revendraient en seconde main pour augmenter leur pouvoir d’achat sur le marché du neuf⁷. Dans ce cas de figure, l’occasion n’est pas un moyen de consommer mieux ou moins mais un outil pour consommer encore plus, à moindre prix et dans le même temps, participer à l’augmentation de la demande et de la production de neuf.

Aujourd’hui les plateformes de revente en ligne sont en partie responsables des achats impulsifs. À l’ère du numérique, la commodité offerte par le shopping à domicile peut très vite devenir une addiction. Le·a consommateur·ice ne se rend pas nécessairement compte de ce qu’il·elle achète avant que la commande ne lui parvienne et le processus est si rapide (cf : « add to cart » > « buy now ») qu’il laisse le moins de temps possible à la réflexion. « En un mois, j’ai passé plus de 10 commandes et dépensé plus de 1 500 euros. Heureusement que je ne garde pas le tiers. », confie une mère de famille à Numerama⁸. Le tout, enchérit par des stimulis promotionnels sur toutes les plateformes, par mail et les jours de soldes, il devient très dur de s’émanciper d’un système mettant en avant la croissance aux dépens de la sobriété.

Quel impact carbone pour la seconde main ?

L’accélération des rotation dûes à la facilité d’achat et de revente constitue également un des points fort de « l’effet rebond » mis en avant par l’ADEME. « Au départ, l’idée de donner une seconde vie à des biens est un bon réflexe, mais cette offre prolifique nécessite encore plus de transports, de flux.⁹ » souligne Pierre Galio, Chef du service Consommation responsable à l’ADEME. 

Vinted prétend que chaque article acheté sur leur site permet d’économiser 1,8 kg de CO2¹⁰. Même si ce chiffre était avéré, et que chaque article est effectivement plus sobre individuellement, la somme totale d’articles achetés (en constante augmentation) rend le bilan carbone tout aussi mauvais, voire bien pire. 

On retrouve ce phénomène dans d’autres secteurs, comme celui de l’aéronautique. Les avions ont beaucoup gagné en efficacité depuis les années 70 (45% de carburant utilisé en moins), mais le nombre total de vols dans le monde a été multiplié par 12¹¹, et avec lui le bilan carbone du secteur.

Pire encore, le « poids carbone » d’un objet est un argument pour attirer les clients. Parce que l’objet d’occasion est considéré comme plus « écolo », l’acheteur comme le vendeur ont tendance à se déculpabiliser, multipliant ainsi les transactions et par là même, la production de gaz à effet de serre et d’emballages. “Comme c’est facile d’acheter et de vendre, on échange les biens tous les trois mois plutôt que de les conserver” remarque Pierre Galio.

Finalement, l’occasion est à double tranchant. C’est une alternative vertueuse, mais à condition d’être ancrée dans une dynamique de sobriété. Autrement, son prix attrayant et la déculpabilisation qu’elle engendre peut faire oublier que l’objet de seconde main n’est pas neutre, au même titre qu’une bouteille de plastique recyclable n’en reste pas moins du plastique.

Vers des pratiques plus sobres

Dans l’optique de faire rimer occasion et sobriété, il est nécessaire d’adapter notre comportement face à l’achat. Cela ne veut pas dire ne plus se faire plaisir, mais pour des choses utiles (voire nécessaires) et durables. Il convient aussi de se détourner du neuf au maximum pour endiguer le drainage de ressources et promouvoir le réemploi et la réparation plutôt que de « sauter sur l’occasion » pour racheter de nouveau, que cela soit neuf ou d’occasion.

Des méthodes peuvent cependant être appliquées pour initier des pratiques plus sobres ! Voici un mini guide de l’achat qui pourrait bien vous faire économiser tout en limitant votre impact :

Favoriser le commerce équitable en achetant des produits locaux est aussi une bonne façon de participer à la transition écologique ainsi qu’à la juste rémunération des producteurs et artisans. 

Enfin, donner les objets dont on ne se sert plus en Ressourcerie plutôt que de les revendre est une bonne alternative pour faire vivre l’économie sociale, équitable, durable et solidaire !

Pour retrouver la carte des Ressourceries et Recycleries d'Ile-de-France



¹D’après la méthode ACV (ISO 14040-44). “Empreinte Carbone Du Textile En France – France Industrie.” France Industrie, 20 Jan. 2021, https://shorturl.at/ghGJ1

²Le Belzic, Sébastien (correspondant en Chine) / Crédit photo : RICHARD A. BROOKS / AFP. “Chine : Journées de 12h, Déchets, Produits Néfastes… Les Conditions de Travail Dantesques Des Employés de Shein.” Europe 1, 5 May 2023, https://shorturl.at/fqyQS

³Dumonteil, Pauline, and Journaliste BFM Tech. “Les Français Achètent Toujours plus de Vêtements d’occasion.” BFM BUSINESS, 20 Oct. 2021, https://shorturl.at/oGLO5

Selon une étude du cabinet KPMG pour la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance. De Sepausy, Victor. “Recommerce : Les Produits d’occasion Ont Séduit 71 % Des Français.” ActuaLitté.Com, 20 Apr. 2023, https://shorturl.at/fkmH2

ADEME. “Achats d’occasion : Surconsommation Ou Sobriété ?” ADEME Presse, 30 Jan. 2023, https://shorturl.at/dsuCW

(Ed. L’Harmattan, 2021)

Thommeret, Esther. “Vinted, Leboncoin… La Seconde Main Est-Elle Vraiment plus ‘Écolo’ Que La Fast Fashion ?” WE DEMAIN, 23 Feb. 2022, https://shorturl.at/esKLQ

Lequier, Lucie. “Scroller, Cliquer, Acheter : Quand Le Shopping En Ligne Vire à l’addiction.” Numerama, 23 Mar. 2023, https://shorturl.at/wGNOQ

Valérie Parlan. “Pierre Galio, de l’Ademe : ‘Le Fait d’acheter Moins Mais Mieux Fait Vraiment Son Chemin.’” Midilibre.Fr, 28 Apr. 2021, https://shorturl.at/dexZ9

¹⁰Simon-Rainaud, Marion. “Vinted Revendique UN Impact Écologique Positif.” Les Echos Start, 21 Mar. 2023, https://shorturl.at/fAIV4

¹¹Wakim, Nabil. “Podcast. Faut-Il Arrêter de Prendre l’avion ?” Le Monde.Fr, 11 Apr. 2023

Les photos sont celles de la Petite Rockette, du Poulpe, ainsi que différentes éditions de la Fête de la Récup’. Le titre est emprunté à des paroles d’Espérance de vie, une chanson de Youssoupha (2012).

Thomas Daniel

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